Je propose une série photographique autour du thème des forains et leur caravane.
Ma rencontre avec les forains s’est faite lorsque j’étais étudiante. A l’époque je travaillais
comme serveuse à la “Schueberfouer” (fête foraine luxembourgeoise) et j’ai donc eu
un bon aperçu de leur vie, travail et humour.
Mais, comment sont ces gens quand ils vivent dans ces maisons mobiles en-dehors
du parking du glacis? Quelle est l’ambiance de ce village “forain”?
Ce sont des questions qui me préoccupent parce que je me sers moi-même d’une caravane
comme laboratoire et appareil photographique, à l’image du sténopé rudimentaire.
La volonté d’être acteur dans le processus de l’image est telle, qu’elle m’a permis de
détourner une caravane pour en faire une boîte noire, alliant le désir au voyage, le travail
aux vacances, les souvenirs aux images... et quand je fais un projet à l’étranger par
exemple, je peux même dormir dedans.
J’ai aimé vivre avec eux durant la Schueberfouer et les photographier dans leur “chez
soi” mobile, dans leur vie quotidienne et faire ressortir le support de l’identité personnelle.
Ce concept part de l’idée d’un échange; je leur montre mon appareil photo-roulotte
dans lequel ils peuvent vivre une expérience comme celle vécue par un public sur les
manèges, montagnes russes, stands de tir et autres attractions foraines.
Je veux exalter l’habitat précaire.
Le détournement de la caravane comme habitat précaire est un fait actuel et bien
présent en ce temps de crise économique et sociale. Face à la flambée des loyers, au
chômage massif et aux travailleurs précarisés, certains campings proposent une offre
grandissante sur leur calendrier annuel. Ceci, sur tout le territoire luxembourgeois et
au-delà.
Usées, les vieilles caravanes trouvent une seconde vie faite de bric et de broc à
chaque restauration ceci, quand d’autres choisissent des installations sauvages, sur
des parcelles de terrains, en dehors de toute légalité.
Les forains vivent dans des caravanes depuis toujours et en plus les mobil-homes
supplantent la bonne vieille caravane, cet espace reste précieux et étudié dans ses
moindres détails. Car ils vivent nombreux dans quelques dizaines de mètres carrés.
Le canapé est forcément convertible et souvent le convoi s’agrandit de petites caravanes
destinées aux jeunes devenus trop grands…
La conception de leur habitat autonome fait partie d’un processus global puisqu’elle
répond aux besoins du quotidien : s’alimenter, se chauffer, se vêtir. Si la caravane
représente aujourd’hui cet objet manufacturé que nous connaissons depuis la fin des
années 1950, et conçu pour former un couple avec l’automobile, les lignes sémantiques
se déplacent.
À ce propos, comment se représenter une caravane dans laquelle vivent les forains?
S’agit-il simplement d’une «remorque aménagée» destinée à être habitée? Cette
définition est certes élémentaire, mais elle dévoile en réalité un objet pragmatique et
prosaïque qui ne laisse que peu de place au rêve et au voyage.
En plus, la caravane ou mobil-home est un lieu de mémoire, un lieu de la mémoire
familiale, un lieu dans lequel s’épanouissent toutes les aspirations individuelles. Dans
ces conditions, une question s’impose : comment en tant que photographe puis-je
appréhender ce sujet aux contours incertains ?
Original et rebelle, leur habitat leur ressemble. Leurs choix nous poussent à nous
interroger sur nos modes de vie actuels, et nous rappellent qu’il est possible de vivre
autrement.
En m’installant chez eux lors de la Schueberfouer, je donc pu partir à leur rencontre pour
découvrir et partager leur quotidien d’habitants-citoyens atypiques ou pas tellement? En mélangeant instantanés et mises en scènes où les protagonistes jouent un personnage, les photographies vont s’affranchir du contenu purement documentaire.
De la même manière, elles transfigurent la réalité pour décrire une rencontre avec un
«peuple habitant» fictif aux moeurs fantastiques.
Ces portraits poétiques qui mêlent réel et imaginaire, invitent le spectateur à
poser un nouveau regard sur les forains et leur habitat.
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